Fatale Colombie !

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Minute rédigée par Frédérique Doucet 

Fréquentant les bibliothèques, je choisis parfois mes livres au hasard et je fais souvent de belles rencontres. C’est ainsi que j’ai lu 35 muertos du romancier colombien Sergio Álvarez.

Je savais que de nouvelles figures se détachaient avec talent et inventivité comme Jorge Franco, Juan Gabriel Vásquez ou Hector Abad Faciolince mais je ne connaissais pas cet auteur.

 L’action démarre dans les années 1970 et se poursuit jusqu’après la mort de Pablo Escobar en 1993. La violence annoncée par le titre est au cœur de toute chose dans cette société colombienne. Qui veut survivre et se faire une place dans la hiérarchie sociale doit aussi savoir se compromettre, voire tuer. C’est une sorte de fatalité. Aucune réussite, aucune fortune ne peut se faire dans la légalité. On veut suivre le droit chemin, on croit y parvenir, et on se retrouve tôt ou tard mêlé à des individus violents tels que les FARC, les paramilitaires ou les narcotrafiquants. Ce n’est ni le talent ni le travail qui apportent argent et succès mais des accords que des acolytes ont passés avec des personnages influents – comprenez la mafia locale.

La naissance même du protagoniste est sous le signe de la violence : sa mère meurt en lui donnant le jour et son père se suicide. Ses 35 années d’aventures, d’échecs, sa vie chez un oncle, puis une tante, son arrivée à Bogotá, son adolescence, l’école, les vols, les bagarres, les délits mineurs, les femmes, le sexe, le choc d’une réalité dans laquelle sont ordinaires les disparitions, les tortures, les dénonciations, l’apparentent à un nouvel héros picaresque.

La langue employée est populaire et argotique, vive, imagée, inventive. L’auteur que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors des Belles Latinas en octobre 2014 a évoqué l’importance de la tradition orale en Colombie qu’il restitue dans une forme où narration et dialogues se mêlent de façon habile sans se conformer à une ponctuation habituelle.

L’écriture de ce livre propose un biais original pour parler de la violence. Chaque chapitre est écrit à la première personne, et correspond au récit d’un protagoniste dont l’innocence et la maladresse s’opposent au cynisme et à la lucidité d’autres narrateurs presque toujours résignés à faire ce qui est nécessaire pour survivre : tuer ou forniquer. Pulsion de mort et pulsion de vie sont intimement liées comme Sergio Álvarez  le déclarait lors de sa conférence.

Le style est au service d’une réflexion où apparaît la voix de l’expérience et de la rue. De quoi donner envie de découvrir d’autres œuvres de cet écrivain.

Sergio Álvarez, 35 muertos, Bogotá, ed. Alfaguara, 2011.

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