Un titre difficile à porter

 indexMinute rédigée par Frédérique Doucet

 

 

 

Au-delà de l’anecdote qu’il nous conte – un écrivain argentin « prixnobelisé » retourne, après 40 ans d’absence, dans son village natal de Salas où il est tour à tour, et parfois par les mêmes personnes, admiré et conspué –, ce film offre une réflexion sur la création artistique, le rôle et le statut de l’artiste dans notre société contemporaine.

La première scène du film est, à cet égard, assez révélatrice. Cérémonie de remise du prix Nobel : Daniel Montoneva remercie le jury du terrible honneur qui lui est fait. Il considère que cette distinction sonne le glas de sa créativité et de sa liberté de parole. Selon lui, un écrivain est avant tout un rebelle qui doit pouvoir s’élever contre toute forme d’institution ; le nobéliser, c’est faire de lui une institution. Le prix Nobel récupère et réifie ceux qui le reçoivent, comme en témoigne la statue de lui inaugurée à Salas. D’ailleurs, recevoir ce prix, est-ce véritablement le signe d’un grand talent ? Des écrivains exceptionnels comme Borges ne l’ont pas obtenu…

Montoneva est désormais « citoyen d’honneur » de Salas. Les habitants sont flattés d’avoir, parmi les natifs de l’endroit, une personne mondialement connue. Des miettes de cette renommée retombent sur eux. Mais ils sont aussi vexés de l’abandon de l’écrivain – qui vit désormais à Barcelone – et de l’image négative du village et de ses hôtes renvoyée par ses livres. Comment faire la part entre la réalité et la fiction ? Comment une œuvre s’empare-t-elle du vécu de son auteur pour le sublimer, le transformer en en faisant quelque chose d’universel ? Car c’est cela un roman.

Lors de ce séjour retour aux sources, l’agenda de Daniel Montoneva est bien rempli. Conférences, inaugurations, jury d’un concours local de peinture, repas, photos… On attend de lui qu’il soit partout, qu’il se prête à tout, docilement, et surtout, qu’il ne fasse pas de vagues. Ses opinions et ses choix doivent être conformes à l’image qu’on s’est forgée de lui. Or, est-ce là le rôle d’un écrivain ? Doit-il avoir réponse à tout ? Doit-il être un trophée qui décore la mairie de son village natal ? Doit-il toujours avoir la même opinion que ceux qui l’ont désigné « citoyen d’honneur », juste pour les remercier de ce beau geste ? Doit-il se taire si ses paroles peuvent choquer ?

Je pourrais évoquer de nombreux autres éléments qui peuvent nourrir cette méditation sur l’art et l’artiste… On peut aussi le regarder au premier degré et suivre tout simplement les tribulations de Daniel Montoneva – Óscar Martínez, très convainquant dans ce rôle – en s’amusant de ses déboires car ce film, construit en chapitres comme un livre, prétend autant nous divertir que nous donner à penser.

Gastón Duprat et Mariano Cohn, El ciudadano ilustre, film argentin sorti en mars 2017.

 

 

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