Minute rédigée par Frédérique Doucet
C’est dans la haute bourgeoisie mexicaine, baignée de catholicisme rigoriste, que se situe le film de Luis Buñuel, tourné en 1955, La vie criminelle d’Archibald de la Cruz (titre original : Ensayo de un crimen).
Pendant la Révolution mexicaine, le jeune Archibald a une huitaine d’années. Il est fasciné par une boîte à musique « magique ». Si on la fait marcher en désirant la mort de quelqu’un, la personne en question mourra. Quand sa gouvernante lui raconte cette histoire, les yeux du garçonnet brillent de convoitise devant le pouvoir de l’objet. Et s’il essayait ? Il lance un regard torve à sa nourrice pendant que celle-ci observe la rue pour savoir d’où viennent les tirs qu’on y entend. Soudain, elle s’effondre sous le coup d’une balle perdue des révolutionnaires. Archibald est persuadé que c’est lui qui l’a tuée.
Cette scène d’ouverture du film est déterminante. Elle pose d’emblée les trois thèmes que l’œuvre va développer : la puissance, la culpabilité et la liberté.
La puissance suprême, c’est celle d’avoir la vie de quelqu’un entre les mains et de décider de la lui laisser ou de la lui ôter. Seul Dieu peut disposer des personnes en les rappelant à Lui au moment où il le désire. Tuer quelqu’un, c’est donc devenir l’égal de Dieu. À cette idée, Archibald ressent une grande jouissance. Ce sentiment est, cependant, mitigé et gâché par la culpabilité qui s’ensuit. Seul l’Homme peut se sentir coupable, pas Dieu. Quand des prières, maintes fois récitées – telles le Confiteor– disent que chacun pêche « en parole, en pensée, par action et par omission », est-il possible à un individu d’être innocent ? Si on souhaite la mort de son prochain et qu’il décède, sans même qu’on l’ait touché, est-on coupable de ce décès, est-on responsable ? Désirer la mort de quelqu’un, est-ce commettre un crime ? Est-ce aussi grave que de le tuer de ses propres mains ? Où donc est la liberté si, quoi que l’on fasse (parler, penser, agir, ne pas agir), cela est considéré comme un pêché par la religion catholique ?
Comment s’en sortir et résoudre tous ces problèmes ? C’est à quoi est confronté Archibald durant tout le film et dont, cruellement, je ne vous dirai rien !
Il faut redécouvrir ce classique du cinéma espagnol, succomber au charme un peu désuet des acteurs et à la beauté du noir et blanc et méditer les questions qu’il soulève.
Luis Buñuel, La vie criminelle d’Archibald De La Cruz/ Ensayo de un crimen, 1955.