Minute rédigée par Frédérique Doucet
Après plusieurs années d’absence, Larry débarque à l’aéroport de Medellín en provenance de Londres où il vit désormais. Il revient pour les funérailles de son père, mort dans d’obscures conditions, douze ans auparavant.
Car Larry n’est pas n’importe qui. C’est le fils de Libardo, puissant narcotrafiquant, bras droit de Pablo Escobar. Quand Escobar est mort, ses ennemis se sont vengés contre les membres restants de son cartel. C’est ainsi qu’après avoir d’abord attaqué les biens de Libardo, ils ont ensuite attenté à sa personne, le séquestrant et orchestrant sa disparition. Sa dépouille (ou plutôt ses restes) restera introuvable pendant douze ans, jusqu’à cette nuit si particulière où Larry arrive pour les récupérer et où commence le roman.
Nous sommes le 30 novembre et la ville entière célèbre la Alborada dont la première manifestation avait eu lieu en 2003. Partout éclatent feux d’artifice, pétards, tirs à n’en plus finir et Medellín se noie dans le bruit des détonations. Le jeune homme, harassé, n’a qu’une idée en tête : rejoindre sa mère et dormir. Mais les amis venus le chercher à l’aéroport l’entraînent dans la nuit et la fête avant de le reconduire chez lui.
Ce périple, anecdotique au premier abord, donne à l’auteur Jorge Franco l’occasion de raconter l’histoire de Larry et de sa famille. L’enfance, dorée matériellement, mais entachée par la peur, la violence et la honte de dire qui on est. Une mère qui ne prend pas en compte l’impact de ce type d’existence sur ses enfants et s’accommode fort bien de la situation, tant qu’elle peut jouer gros jeu au casino et parader au bras de son puissant mari. Puis le basculement après la mort de Pablo Escobar en 1993.
C’est la déchéance pour la famille qui perd tout ce qui faisait son aisance matérielle et sociale. Nul ne sait ce qu’il est advenu de Libardo, s’il est mort et comment. Larry choisit l’exil à Londres pour y étudier et fuir cette vie qui lui a toujours été odieuse.
Ce roman, El cielo a tiros, est passionnant à plus d’un titre.
La narration d’abord est originale. Tout ce qui concerne l’enfance de Larry, ses sentiments, ses souffrances, c’est lui qui les exprime à la première personne. En revanche, le périple de nuit pendant la Alborada, la redécouverte de Medellín et de la Colombie est raconté à la troisième personne comme si Larry, devenu extérieur à ce monde depuis son départ douze ans auparavant, n’arrivait pas ou plutôt refusait de reprendre pied dans cet univers désormais étranger.
Cette nuit pétaradante de Medellín, instaurée par les narco paramilitaires, est une métaphore de l’atmosphère colombienne. Mélange de soif de vivre, de débordements, d’alcool, de sexe et de violence. Éros et Thanatos toujours mêlés dans l’ombre tutélaire du roi des narcotrafiquants qui couvre encore le pays, même après sa mort.
Enfin, la réflexion sur l’héritage est centrale. Que signifie être le fils d’un mafieux ? Quelles conséquences cela engendre-t-il sur la personnalité et la psychologie de ce dernier ?
Quand il se présente à Medellín, Larry dit toujours « le fils de Libardo », comme s’il n’avait pas d’identité propre, comme si son père (même mort) prenait toute la place et ne lui laissait pas d’espace vital. Difficile de montrer aux autres qu’on n’adhère pas à ses choix, qu’on n’approuve pas ses activités et qu’on est différent de lui.
Les décisions du père rejaillissent toujours sur le fils. Seul l’exil pourra lui permettre de trouver sa propre voie, son propre nom et sa rédemption.
Jorge Franco, El cielo a tiros, Bogotá, Alfaguara, 2018.