État de nature ?

Minute rédigée par Frédérique Doucet

 Souvent c’est après coup que le titre d’un livre s’éclaire ou qu’il éclaire l’ouvrage qu’on vient d’achever. C’est ce qui s’est produit pour moi avec le roman de Serge Joncour : Chien-Loup. Comme son titre, l’histoire est séparée en deux. La partie historique, qui court de juillet 1914 à juillet 1915 et la partie actuelle, en août 2017. Un an de la vie d’un village perdu dans les Causses, ravagé par la guerre et vidé de ses hommes valides contre un mois de la vie d’un couple venu se ressourcer dans le même endroit, à l’abri du monde et hors de toute connexion internet ou téléphonique. Sous ce titre anodin, ce livre est une réflexion sur la civilisation et la barbarie, ou encore sur la nature et la culture. La partie chien et la partie loup.

En 1914 la partie loup s’est déchainée. La guerre a décimé non seulement les hommes mais aussi les animaux domestiques. Les chevaux ont été réquisitionnés pour le combat, les bœufs pour tirer les canons et autres engins mortifères, les moutons pour nourrir les troupes. Le monde était livré à la sauvagerie des hommes en armes et des bêtes des bois. Tous les êtres vivants ont dû payer un tribut à la mort. Seules les femmes sont demeurées du côté de la vie. Elles ont pris la place des hommes aux manches des charrues, à l’entretien des remises, à tous les travaux de la terre en plus de leur travail domestique. Contre toute attente – la leur et celles des vieillards restants – elles ont réussi le défi de remplacer le sexe fort et de conserver au village un vernis de civilisation dans le chaos ambiant. Le chien, peu à peu, s’est substitué au loup.

2017, c’est le domaine du chien. Lise et Franck louent une petite maison tout en haut de la colline. On ne peut l’atteindre qu’en 4×4 (signe extrême de civilisation !). C’est une zone blanche où aucune communication ne passe. Lise recherchait cette solitude. Son mari a beaucoup de mal à s’y faire. Confronté à des associés ambitieux et sans scrupules, Franck vit un moment de crise. Cet affrontement avec la nature brute du Causse va l’aider à retrouver la sienne. Franck va comprendre que les lois qui régissent la société actuelle et les relations entre les hommes sont toujours celles de la jungle. Manger ou être mangé, telle est la situation. Même s’il lui en coûte de l’accepter, le loup affleure toujours sous le chien. Après avoir mordu comme la bête sauvage  pour se faire entendre et obéir, Franck devra retrouver l’équilibre du chien-loup pour être enfin heureux.

Serge Joncour, Chien-Loup, Paris, Flammarion, 2018

 

 

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