Minute rédigée par Frédérique Doucet
L’Immortel, d’Alphonse Daudet, est une étude de mœurs publiée en 1888. L’auteur nous dresse des portraits piquants, sans concession et non dénués d’humour, des divers personnages qui peuplent son récit. Même si le but qu’ils poursuivent est différent, tous sont cependant dévorés par une ambition qui les ronge comme un cancer.
Je lisais ce livre au moment de la mort de Jean D’Ormesson et, contaminée par l’esprit d’un des protagonistes du roman, je pensai : voilà un siège qui se libère ! Car chaque mort d’académicien n’est pas un deuil, mais un espoir pour les postulants qui intriguent, depuis des années, pour en être. Ah, l’Académie Française ! Être immortel de son vivant, quel charmant paradoxe !
Cette idée, d’abord un peu vague, va bientôt tourner à l’obsession pour le jeune et prometteur poète Abel de Freydet. Il quitte son Loir et Cher, trop perdu, afin de hanter à Paris les salons à la mode, dans l’espoir d’y glaner des voix pour sa candidature à l’Académie. Il y sacrifie sa fraîcheur d’écriture et sa vie privée. Il fréquente assidûment son mentor, Léonard Astier-Réhu, lui-même immortel grâce aux menées de sa femme, fille d’immortel. Léonard cependant est resté un intellectuel de province, mal dégrossi et facilement bernable, qui connaîtra une triste fin.
Dans la famille Astier il y a donc aussi la femme. Avoir « immortalisé » son mari ne lui suffit pas. Nouvelle Célestine, tout miel et toute onction avec ses victimes, elle arrange des mariages d’argent dont elle retirera un bénéfice car l’Académie ça ne paie pas et le fils chéri, Paul, a sans cesse besoin d’argent. Il est architecte et les commandes que sa mère lui procure ne suffisent pas à son train de vie. De son côté, il manigance également afin d’accaparer la fortune des riches et belles dames qui se laissent séduire par ses manœuvres.
En contrepoint de tous ces ambitieux intrigants, Védrine. Archétype de l’artiste authentique. Sculpteur, peintre pour qui l’art est vivant et toujours objet de nouvelles expérimentations, c’est un homme honnête et simple, qui sait se contenter de ce qu’il a. Attiré un instant par les honneurs, il en a vite constaté la vanité. Aussi regarde-t-il ses pairs s’agiter comme des marionnettes ignorant le marionnettiste –pauvres Pinocchios croyant qu’ils sont déjà des humains– courir inlassablement après les distinctions.
Lucide, il met en garde son ami Freydet. L’Académie sclérose : « finies, les belles inventions ; finis, les coups d’audace à se casser les reins ». Il compare les académiciens à ces enfants qu’on endimanche et à qui l’ont dit : « amusez-vous, mais ne vous salissez pas ».
Mais comme souvent, les sages n’ont pas le dernier mot et la comédie humaine suit son cours. Ambition, quand tu nous tiens…
Alphonse Daudet, L’Immortel, Paris, A. Fayard, 1908.