« Acceso, exceso »

Minute rédigée par Frédérique Doucet

round-R15-crop-100x100-15228Lors du festival de théâtre « Sens Interdits » en octobre dernier, le cinéaste chilien Pablo Larraín présentait pour la première fois en France la pièce Acceso, qu’il avait écrite et mise en scène. Dans la petite salle des Célestins à Lyon, une affichette prévenait les gens que ce spectacle contenait des propos pouvant heurter…

Pas de scène, un seul personnage déambule parmi les spectateurs, les interpelle ou les prend à parti. Plus qu’une pièce, il s’agit là d’une performance. L’acteur, Roberto Farías, est époustouflant : sa présence est incroyable et son débit de parole (même pour de l’espagnol) presque insaisissable. Il est Sandokan, un paumé minable qui fait l’article sur des objets de pacotille qu’il essaie de vendre pour gagner, difficilement, sa vie. La vente ne remportant que peu de succès, Sandokan en profite pour nous parler de lui, de son passé, de sa jeunesse. Nous découvrons en lui une victime. Depuis sa plus tendre enfance, élève dans un collège religieux, il a subi physiquement et psychologiquement tous les abus possibles de la part des prêtres qui devaient l’éduquer. Plus tard, cela l’a conduit à la délinquance et à la prison. Il est devenu un être asocial, « dés-intégré ». Dans une logorrhée incessante il déverse sur nous, qui l’écoutons impuissants, des flots d’injures, de violence, dans un langage cru et ordurier.

L’empathie que l’on ressent au début pour ce pauvre marginal s’estompe peu à peu. L’excès nous submerge. Excès de paroles, excès de précision dans la description des sévices, qui s’apparente à de la pornographie verbale. On se sent agressé, accusé. On comprend bien la nécessité, pour Pablo Larraín, de dénoncer ce fléau, mais sa façon de le faire rate son objectif. Trop de dénonciation tue la dénonciation. On a une impression d’outrance et d’exagération (même si tout ce qu’il dit est vrai) et, à force, on ne ressent plus rien. Pire, on se sent pris d’une sorte de rejet.

Le personnage de Sandokan, avec le même acteur, est repris par le cinéaste dans son dernier film, El Club. Cet opus, glauque et pervers à souhait, parvient toutefois mieux à ses fins que la pièce, car la dénonciation y est plus subtile et laisse au spectateur le temps de reprendre son souffle et de réfléchir. Le personnage du marginal n’est plus seul, il est replacé dans un contexte et cela nous permet d’appréhender plus facilement un problème qui de fait est inadmissible et doit être éradiqué.

Pablo Larraín, Acceso, pièce créée à Lyon en octobre 2015 et El Club, film chilien, novembre 2015.

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