Perseverare humanum est.

Minute rédigée par Frédérique Doucet

C’est au début de la Renaissance, précisément en 1534, que nous conduit le roman d’Anne Cuneo Le maître de Garamond. On prend à le lire le même plaisir qu’à un roman d’aventure ou à un roman policier. Cependant, à part quelques licences que s’accorde l’auteure pour combler les inévitables lacunes laissées par les archives, tout y est historique.

C’est dans le milieu des imprimeurs graveurs typographes que nous sommes plongés. Métiers difficiles et exigeants qui demandent des années d’apprentissage avant de parvenir à leur maîtrise. C’est à quoi réussira le brillant Claude Garamond. Nous connaissons tous son nom pour utiliser ses caractères typographiques sur Word. Peu d’entre nous connaissent son histoire et celle de son maître, Antoine Augereau.

Le roman commence par la triste fin de ce dernier, pendu et brûlé avec ses livres en place publique pour cause d’hérésie. Longtemps dans le collimateur de la Sorbonne, repère de bornés et féroces inquisiteurs, Antoine avait réussi, jusqu’à ce 24 décembre 1534, à éviter le pire. Sa grande valeur intellectuelle, humaine et professionnelle lui avait valu des protectrices et protecteurs tels Marguerite de Valois, sœur du roi, Clément Marot ou encore François Rabelais. Mais, à cette époque où la religion divise au lieu d’unir, tous sont sur la sellette.

Maître Augereau est pourtant un chrétien sincère. Malheureusement pour lui, il déplore certaines pratiques qui lui paraissent indécentes, comme la vente des indulgences. Il pense aussi que, puisque l’imprimerie permet désormais une diffusion plus facile des écrits, ceux-ci doivent être accessibles … au peuple ! Notamment pour qu’il puisse y lire la Bible, débarrassée de ses scories, dans un texte pur et authentique. Le peuple, lire la Bible ? Quel blasphème ! L’Église, qui entend manipuler les pauvres à sa guise en les laissant dans l’ignorance du vrai contenu du Livre Saint, s’insurge et attaque tout imprimeur ayant ces velléités « populistes ».

Antoine Augereau et son apprenti puis confrère Claude Garamond travaillent cependant sans relâche à rendre leurs caractères plus lisibles pour que tous, instruits, moins cultivés et même les femmes puissent lire sans difficultés. Ils inventent, par ailleurs, l’accent permettant la distinction des sons ainsi que la cédille. Eux, et d’autres collègues, aussi engagés qu’eux, ont l’idée d’un livre petit format, plus maniable et transportable, plus directement destiné aux étudiants, et que l’on peut mettre dans sa poche.

Toute leur existence, ces hommes n’auront de cesse de perfectionner leur art afin d’améliorer la lisibilité et la beauté des textes et d’en faciliter la transmission.

Ils croyaient que, grâce à la connaissance et à la culture, le monde deviendrait meilleur. Ils se sont heurtés à l’obscurantisme d’une Église catholique qui imaginait y perdre sa suprématie. Certains, comme Antoine Augereau, ont payé de leur vie leur persévérance. Qu’un hommage leur soit rendu, car ce qu’ils nous ont légué n’a pas de prix.

Anne Cuneo, Le Maître de Garamond, Paris, Stock, 2002.

 

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