La Guinée-Équatoriale : de Charybde en Scylla

Minute rédigée par Frédérique Doucet

mbomio-malabo-littoralLes écrivains africains de langue espagnole existent et j’en ai rencontré un ! Joaquín Mbomío Bacheng est venu, avec l’équipe éditoriale de la jeune maison d’édition lyonnaise L’Atelier du Tilde, parler de son premier livre désormais traduit en français : Malabo Littoral.

            Ce livre, il a mis huit ans à l’écrire (1990-1998) et on comprend pourquoi. À travers l’histoire terrible de Juan Ndong, c’est en fait sa propre aventure que l’écrivain — réfugié politique résidant en France — nous raconte.

            Jusqu’en 1968, la Guinée Équatoriale, coincée entre le Cameroun au nord et le Gabon au sud, est une colonie espagnole. Petite particularité : sa capitale Malabo ne se trouve pas sur le continent mais à quelques encablures de là, sur l’île de Bioko.

            Dans cette Espagne lointaine de forêts et de chaleur humide, le régime franquiste, que les colons ont exporté, est bien rodé. Malgré ces désagréments, le pays est prospère. Les Espagnols ont à cœur de faire fructifier leurs plantations ou leurs fabriques. Certes, ce sont les patrons, mais ils donnent du travail à la population locale, qui vit correctement. Chacun mange à sa faim, les enfants vont à l’école puis à l’université (pour les meilleurs d’entre eux). L’avenir s’envisage sereinement.

            En 1968, c’est l’indépendance. Un espoir bien vite anéanti. Le nouveau président s’appelle Francisco Macías Nguema. Il travaillait autrefois pour les Espagnols. Maintenant on doit le nommer « Leader d’Acier », « Président constitutionnel éternel », « Père de la Révolution » ou, pour les plus simples, « papa Macías ». Le bon père de la Nation se comporte, en réalité, comme une bête sauvage. Il s’entoure de sbires ignorants, opportunistes et sadiques. Tous les hommes de valeur, cultivés et de bonne volonté qui auraient pu construire une vraie République indépendante et démocratique sont au mieux en exil, au pire en prison. Ils y seront torturés puis exécutés sous le chef d’accusation de tentative de fomenter un coup d’état. Le nouvel homme fort du pays est pire que les colonisateurs, qu’il renvoie en Espagne et dont il interdit de parler la langue.

            Le pays est en ruine, ses habitants morts ou sur le point de mourir (de faim ou sous la torture). Seules les prisons sont florissantes. « La prison est la seule et véritable demeure construite en Guinée depuis que ce pays a entrepris de marcher sur le chemin de la liberté. Les habitants lui donnent le nom  “d’Université”. On y apprend la science du mal qui ronge notre société »[1]. C’est donc là que se retrouve, arrêté comme « espion à la solde du Vatican », l’alter ego de l’auteur, Juan Ndong. Maltraité, torturé, forcé d’assister aux « jeux du cirque » qu’organisent geôliers et membres du gouvernement en goguette avec les prisonniers, il croit sa fin prochaine. Il va même jusqu’à espérer son exécution. Le sort en décidera autrement.

            Le dictateur va un peu trop loin : il s’en prend à sa famille. Son propre neveu, alors ministre, ne le lui pardonne pas. Il réussit un coup d’état en 1979, le renverse et le fait exécuter. Il déclare alors l’amnistie pour les prisonniers politiques. C’est ainsi que Juan Ndong a la vie sauve (comme notre écrivain) et s’exile d’abord en Espagne, puis en France. C’est dans les environs de Dijon qu’il meure et qu’on retrouvera sur lui son journal, dans lequel il raconte ce que vous venez de lire.

            Joaquín Mbomío Bacheng, lui, est bien vivant. La Guinée-Équatoriale (où il n’est jamais retourné) reste en lui comme une blessure. Désormais, il se consacre à l’écriture et aide les réfugiés de toutes sortes. La traduction de son livre en français est l’opportunité de voir son œuvre se diffuser, non seulement dans notre pays, mais surtout dans l’Afrique francophone. Ceux qui le liront devront, bien entendu, être très prudents et ne pas s’exposer au grand jour, de peur que les oreilles du dictateur actuel de la Guinée voisine ne tintent un peu trop fort.

 Joaquín Mbomío Bacheng, Malabo Littoral, Lyon, Les Ateliers du Tilde, 2015.

Titre original : Huellas Bajo Tierra, Madrid, Centro Cultural Hispano Guineano,1998.


[1] Joaquín Mbomío Bacheng, Malabo Littoral, Lyon, Les Ateliers du Tilde, 2015, p. 75.

Vous aimerez aussi...