La révolte des invisibles. Le film Workers pose la question délicate des rapports sociaux au travail

Minute rédigée par Frédérique Doucet 

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  Eux, ce sont des hommes et des femmes invisibles de Tijuana. Lui, c’est José Luis Valle et son regard les fait exister.

  J’ai été frappée de cette omniprésence du regard tout au long de l’œuvre. Regard subjectif de Rafael Heredia qui regarde des boîtes d’ampoules électriques dans un magasin, un jeune dans un parc en train de faire un graffiti sur un banc… Regard omniscient du cinéaste qui contemple les personnages qui observent. Mise en abime qui lui permet de les montrer dans leur environnement.

  Pour Rafael il s’agit d’ une immense usine qui fabrique des ampoules électriques. Longs couloirs blancs. Immenses pièces blanches et impersonnelles dont il est chargé d’assurer la propreté. Toujours seul, il se change dans les vestiaires, prend ses repas à la cantine, pousse son chariot et manie ses balais. Cela fait 30 ans qu’il est un employé modèle et silencieux. Il se prépare à prendre sa retraite quand son chef, qui le regarde à peine, lui annonce qu’il n’a droit à rien. En effet, il est salvadorien et sans papiers. Le patron ne s’en aperçoit que maintenant ! Bien sûr, il va lui faire une fleur : ne pas téléphoner aux services de l’immigration et lui permettre de rester travailler encore, longtemps, en silence…

Pour Lidia, c’est une luxueuse villa sur le front de mer. Non, elle n’en est pas propriétaire ! Elle y travaille depuis au moins 30 ans, ainsi que de nombreux autres domestiques, pour une vieille milliardaire amoureuse de sa chienne lévrier Princesa. Quand la vieille dame meure, la chienne hérite de toute la fortune. Lidia et les autres doivent continuer à la servir, comme avant. Quand la chienne mourra (de mort naturelle s’entend) les domestiques partageront son argent.

Grâce à ces situations  respectives qui viennent les bousculer ces personnages blessés par la vie, invisibles pour la société, qui ont toujours obéi et baissé la tête, vont prendre conscience que tout n’est pas normal dans leur existence. La vie ne roule pas à la même vitesse pour tout le monde.

Le temps de la revanche est arrivé. Oh, ce n’est pas la révolution ! C’est plutôt ne plus accepter la fatalité, ne plus rester sans rien faire.

Pour Rafael, cela passe par deux choses. Apprendre à lire  et saboter son travail quotidien par de petits gestes presque insignifiants. Cela va durer dix ans ! Jusqu’à ce que des caméras de surveillance le dénoncent et qu’on lui offre, enfin, un chèque pour s’en aller !

Pour Lidia et les autres domestiques qui vont l’y aider, il s’agit de se débarrasser de la chienne. Cela lui pince le cœur, bien sûr, elle y était attachée. Mais quand même, il y a des limites à ce qu’on peut accepter. Cela prendra un an. La demeure fermera alors ses portes et les domestiques retrouveront leur liberté, chacun de son côté.

Le film se clôt sur la même scène qu’au début, mais inversée. Peut-être une nouvelle vie pour tous ces workers invisibles.

José Luis Valle, Workers, film mexicain 2013, disponible en DVD

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