Minute rédigée par Frédérique Doucet
Si en allant voir Neruda, le dernier film de Pablo Larraín, vous vous attendez à un biopic traditionnel, vous serez surpris.
C’est à peine un épisode de sa vie – sa traque par la police en raison de ses activités communistes – dont il est même difficile de démêler le vrai du faux.
Plusieurs partis pris du réalisateur donnent à ce film son originalité. Son esthétique : entre vieux film aux couleurs délavées et reportage d’actualité cinématographique de l’époque. Frontière poreuse entre fiction et réalité qui se confirme avec le mode de narration. C’est le policier, incarné par Gael García Bernal, qui raconte en voix off. Il raconte même les scènes qu’il n’a pas vécues, tel un narrateur omniscient. On le voit debout, en gros plan, chaque fois que s’ouvre un nouvel épisode de la poursuite contre Neruda. Concentré, il semble chercher l’amorce d’un nouveau chapitre. Il se met en scène comme un héros, lui le policier obscur, fils d’une prostituée et d’un père incertain, ridicule et pathétique.
Quant à la traque, elle est toute littéraire, elle aussi. Pas un instant Neruda ne semble avoir peur. Protégé par sa célébrité, il aime au contraire la poussée d’adrénaline que lui procure cette aventure. Elle lui donne une aura supplémentaire, augmente sa popularité. Il joue avec le policier comme dans un jeu de piste. Il lui laisse des indices, cachés dans des romans policiers.
Quelques images du camp dans le désert, dirigé par un personnage pas encore célèbre, Augusto Pinochet, laissent cependant entrevoir quel était le sort réservé aux communistes de terrain qui étaient arrêtés. Mais Neruda est un communiste de salon. Il déclame des vers en faisant des parties fines chez lui ou dans des bordels, en buvant du champagne entouré d’amis ; mais il ne paye pas la pension alimentaire de son ex-femme.
Il ne connaît pas la dure réalité que vivent les petites gens – paysans, ouvriers, mineurs – aux côtés desquelles il prétend se battre. Paradoxalement, grâce à sa poésie, il leur a donné la parole. Il les a aidés et soutenus par ses écrits. Son combat littéraire est devenu leur combat. Ses mots sont devenus leurs armes.
Ce film est avant tout un hommage à la littérature, à la fiction qui magnifie la réalité, à la poésie qui change ceux qui la lisent ou l’écoutent.
Grâce à Neruda, Óscar Peluchonneau s’est incarné, il n’est plus un personnage secondaire et, qu’il ait naguère existé ou non, il existe bien maintenant et je vous parle de lui comme je vous parle de Neruda.
Le cinéma et la littérature fusionnent ici pour nous livrer le miracle de la création : une œuvre originale, qui marquera longtemps les esprits.
Pablo Larraín, Neruda, film chilien, en salle depuis le 4 janvier 2017.