Après le beau temps, la pluie

Pas-pleurer-CouvertureMinute rédigée par Frédérique Doucet

Menant en parallèle l’histoire de sa mère et celle de Bernanos, Pas pleurer n’est pas un énième roman sur la guerre civile. Il s’agit bien davantage d’une expérience intime que d’un récit historique. C’est l’histoire d’un été qui changera le cours de la vie de Montsé et conduira à la mort de José, respectivement la mère et l’oncle de la narratrice Lydie Salvayre.

Cet été 36 est celui de tous les possibles, de toutes les illusions. L’engagement libertaire de José le conduit à penser qu’une Commune est envisageable. Il veut secouer le joug de cette Espagne immuable, immobile, où le poids de la tradition pèse comme une chape de plomb. Au moindre « pourquoi ? » énoncé par leur fils, les pères répondent « parce que c’est comme ça ». Comme ça depuis des siècles. Pourquoi cela changerait-il ? Courber l’échine et se soumettre à la domination des plus riches, tel est le lot des paysans et des ouvriers.

José entraîne sa jeune sœur Montsé à la grande ville, Barcelone. Là, elle a l’impression de vivre pour la première fois. Elle s’émerveille et s’enivre de tout ce qu’elle découvre. La guerre civile, pourtant déclarée, semble bien loin. Elle va même tomber dans les bras d’un beau Français, dont elle ignorera toujours le nom, engagé dans les Brigades Internationales.

Pendant que sa sœur est aux anges, José, qui est venu pour s’engager dans la Milice Républicaine, commence à entrevoir l’enfer. L’enthousiasme ne suffit pas face à un ennemi entraîné, organisé et prêt à tout pour gagner. Dépité, José va rentrer dans son village natal où sa sœur le rejoindra peu après. L’été radieux devient nuageux.

Montsé est enceinte du soldat français de passage. Honte ultime pour sa mère, qui va arranger le mariage de sa fille avec Diego, le fils de la famille bourgeoise qui règne sur les lieux. Ce dernier, en conflit avec ses parents, est devenu le maire… communiste du village. Décidemment, les temps sont au bouleversement ! José a du mal à accepter cet arrangement auquel sa sœur se plie, elle n’a pas pu aller au bout de son émancipation.

Rapportant les faits dans la langue de sa mère, un « frangnol » plein de barbarismes, Lydie Salvayre nous montre comment des jeunes gens, remplis d’espoir, sont passés de l’illusion la plus joyeuse au cauchemar le plus atroce et comment un événement historique se répercute sur l’histoire personnelle de chacun.

Comme celle de la mère de l’auteure, la vie de Bernanos a changé de tournure avec le conflit espagnol. Catholique fervent et sincère, ses convictions le portent vers la droite soutenue par l’Église. Cependant, son honnêteté intellectuelle et de chrétien ne lui permet pas de fermer les yeux sur les débordements de la guerre civile. Il ne peut supporter une Église au service des riches, qui ferme les yeux, voire donne l’absolution, aux crimes perpétrés par les franquistes. C’est cette prise de conscience douloureuse qui lui vaudra d’écrire Les grands cimetières sous la lune et de voir se détourner de lui certains catholiques, moins soucieux de la vérité.

La présence de Bernanos dans ce roman permet de passer de l’intime, du familial, à l’Histoire. De remettre les événements en perspective, de voir aussi les points communs avec notre époque que se plait à souligner l’écrivaine, avec humour, crainte ou tristesse.

Malgré la noirceur de la situation, Montsé a une seule consigne pour aller de l’avant et faire son chemin dans la nouvelle patrie qui l’accueille : pas pleurer.

Lydie Salvayre, Pas pleurer, Paris, Seuil, 2014. Prix Goncourt 2014.

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