Minute rédigée par Frédérique Doucet
La légende de La Llorona, née au Mexique, a quasiment pris la dimension d’un mythe dans différents pays d’Amérique latine. Cette jeune femme, cheveux longs et noirs, vêtue de blanc, rôde la nuit en pleurant ses enfants noyés. Elle n’est pas vraiment un fantôme, elle est plutôt la matérialisation du malheur, celui qui touche vos enfants, votre famille et, par extension, votre peuple.
La pleureuse c’est la victime par antonomase. Elle est universelle et peut donc se manifester partout où des exactions se sont produites.
Dans le film qui nous occupe et dont le titre est La Llorona, elle va prendre les traits de la nouvelle servante indigène, Alma, qui vient travailler dans la maison d’un général ayant, dans les années 80, dirigé un génocide contre le peuple maya.
Condamné lors de son procès commencé en 2013 puis gracié par les autorités, le général et homme d’état Efraín Ríos Montt est hanté par cette nouvelle employée, rigide, énigmatique, secrète, qu’il est le seul à entendre pleurer la nuit.
Suite à l’amnistie du coupable, les Mayas font le siège de sa maison. Plus personne ne peut y entrer ou en sortir. La famille du général, recluse, va peu à peu s’interroger sur ce qui a conduit à cette situation.
C’est une lente prise de conscience qui d’abord ouvre les yeux de la fille de l’officier supérieur puis de sa femme. Cette dernière sera d’ailleurs la plus virulente car son acceptation de la vérité fait suite à un véritable déni de celle-ci. Quant à la petite fille du général, son empathie avec Alma figure la proximité des nouvelles générations avec le peuple originel de leur pays, leur volonté de récupérer leurs racines et de vivre en harmonie et en paix.
Le cinéaste auteur de cette œuvre n’est pas un inconnu pour les cinéphiles. Il est une des grandes figures du cinéma guatémaltèque contemporain et s’est fait reconnaître avec deux films : Ixcanul en 2015 (Ours d’argent au 65e festival international du film de Berlin) puis Temblores en 2017.
Avec ce nouvel opus, sobre et beau, il mêle habilement la fiction et le réel et tire le meilleur parti de cette figure mythique pour la mettre au service de la réalité. Il ne s’agit pas d’un film fantastique au sens propre. Encore moins d’un film d’horreur comme on peut le lire sur certains sites Internet. Il s’agit d’utiliser un personnage fictif comme allégorie de la culpabilité des bourreaux (hantés par leurs actes, même s’ils refusent de les reconnaître) et de la prise de conscience des taiseux, ceux qui ont fermé les yeux, qui ont protégé les coupables par leur silence, ceux qui se sont rendus complices d’une façon ou d’une autre, même à leur insu.
C’est un film important et qui revient sur un épisode génocidaire trop oublié de l’histoire du XXe siècle. Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix en 1992, y fait même une brève apparition, elle qui fut à l’époque la Llorona qui ouvrit les yeux du pays et conduisit au procès retracé par le film.
Jayro Bustamante, La Llorona, film guatémaltèque, 2019.