La mort est son métier

indexMinute rédigée par Frédérique Doucet

 

Voilà un livre né sous le signe de l’originalité. Dans Los Living de l’écrivain argentin Martín Caparros, tout m’a semblé inédit. Le ton, la composition, l’histoire. J’ai longtemps cherché où j’avais rencontré une tonalité similaire, faite d’humour, de distanciation, de fausse naïveté porteuse de sens, d’empathie pour les personnages et j’ai fini par trouver : dans Mafalda ! Rien que cela dit l’intérêt de ce roman.

La construction est assez classique, chapitres qui alternent, mais énigmatique aussi.

Le narrateur, un jeune homme, Nito, de son vrai nom Juan Domingo, nous raconte son histoire à la première personne en commençant avant sa naissance. Nous apprenons qu’il est né le jour de la mort de Juan Domingo Perón (d’où son prénom), et c’est peut-être pour cela que le thème de la mort va l’obséder de façon inattendue.

Un talent et deux rencontres vont lui permettre de faire de la mort son fond de commerce. Ce talent, c’est celui de conteur. Lui qui a été privé de la mort de son père survenue, radicale et instantanée, lors un accident, se venge en racontant aux gens comment ils vont mourir. Il sait, comme personne, improviser et choisir la fin qui lui paraît la mieux adaptée à la personne à qui il s’adresse afin que, obsédée, elle profite de sa mort pendant qu’elle est encore en vie.

Cette faculté de narration est récupérée par un étrange prédicateur dont le nom est déjà tout un programme : Nelson Trafalgar ! Il va utiliser Nito pour ramener les brebis égarées vers son Église. En effet, pense-t-il, seuls les malheureux et ceux qui ont peur de mourir rejoignent le troupeau des fidèles. L’entreprise Nito-Trafalgar devient vite florissante.

La deuxième rencontre fait l’objet des chapitres intercalés, un peu obscurs, rédigés à la troisième personne et intitulés mystérieusement ML1, ML2, etc. C’est celle avec Carpenta, un artiste vieillissant, qui fait des performances. Avec l’aide de Nito, il récupère des défunts abandonnés à la morgue, les prépare et les dissémine jour après jour dans la ville, formant d’étranges scènes de la vie quotidienne dont le mort est le héros. L’idée est la suivante : peu à peu, les gens vont s’habituer à la présence des morts parmi eux et refuseront bientôt de laisser partir les leurs, ils voudront les garder avec eux, embaumés, dans leur living. Cette idée échevelée va faire fureur et l’industrie de l’embaumement va devenir prospère. C’est la Movida Living (ML !). Tout le monde aura un mort, au moins, dans son salon et, de cette manière, c’est comme si ce dernier continuait à vivre. Le titre de l’ouvrage s’éclaire enfin, dans toute l’étendue de son double sens.

Je m’en tiens ici à l’anecdote, mais ce livre est soutenu par une réflexion profonde, une belle humanité, un sens de la narration et de la construction hors pair où tout s’imbrique et s’éclaire mutuellement. Mais j’en ai déjà trop dit et j’espère que vous aurez envie, vous aussi, de faire une expérience marquante à travers un grand moment de lecture.

Martín Caparros, Los Living, Barcelona, Anagrama, 2011.

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