De Mayrit et de la Villa y Corte au Madrid de l’Après-Franquisme : une saga urbaine

extrait:

Introduction : Histoire et urbanisme

Le « chapeau » de la question sur Madrid ainsi qu’une partie de la bibliographie qui l’accompagne induisent une connaissance fine de l’histoire de la capitale espagnole et de son épanouissement comme cœur de l’État. Elle doit s’appuyer sur une approche diachronique de son évolution comme cité puis capitale, autrement dit ses deux statuts successifs de Villa et de Corte. Or l’urbanisme est une discipline plurielle qui se situe au confluent de divers champs des sciences humaines (histoire événementielle, histoire culturelle, histoire des mentalités, histoire religieuse, histoire de l’architecture et du patrimoine, anthropologie sociale) et de sciences dites « dures » comme la climatologie, l’orographie ou l’aménagement du territoire.
A la différence de la plupart de ses homologues européens, Madrid tarda à acquérir son titre. Jusqu’en 1561, la « capitale espagnole » – vocable anachronique – était la cité où résidait le roi et où se tenaient les Conseils. A l’exception du cas de Tolède qui joua son rôle de façon pérenne, notamment pendant la période wisigothique (Ve-VIIIe), plusieurs cités comme Valladolid, Léon, Palencia, Ségovie, Medina, Burgos ou les deux grandes cités andalouses Cordoue et Séville, assumèrent la fonction de « capitale » provisoire. Quant à la solidité de son titre de capitale, elle sera plusieurs fois mise à l’épreuve. Ainsi, après avoir été couronné roi du Portugal, Philippe II s’installa à Lisbonne entre 1581 et 1583 avec une partie de ses Conseils. On ne sait s’il avait sérieusement envisagé d’établir durablement sa capitale plus près du commerce des Indes et des prétentions atlantistes d’Elisabeth Tudor, mais l’hypothèse est à considérer. Finalement, le projet échoua car l’idée d’avoir une capitale distante de 1 300 km de Barcelone sembla déraisonnable pour la bonne marche du Royaume. Au tout début du XVIIe siècle, Valladolid éclipsa Madrid pendant un lustre, puis au XVIIIe la Villa y Corte se trouva placée en concurrence avec Barcelone lorsque, au cours de la Guerre de Succession, l’archiduc Charles de Habsbourg y installa épisodiquement sa Cour. Sous Joseph Ier, Madrid perdit provisoirement son statut lors des départs précipités du « roi intrus », et on sait moins qu’en 1939, Serrano Súñer, beau-frère et éminence grise du Caudillo, fut sur le point de convaincre ce dernier d’installer la capitale à Séville la fidèle, plutôt qu’à Madrid la rebelle. Nous y reviendrons, mais retenons pour l’heure que Madrid n’a pas toujours été une capitale incontestable ; or ce constat est de nature à informer le regard que l’on peut poser sur la cité du Manzanares, y compris dans la période récente.
Mais d’abord cette interrogation : est-il légitime, concernant une réflexion sur le Madrid des dernières décennies du XXe siècle, de saisir l’entier de l’histoire de la capitale dans une perspective diachronique ? A notre avis, oui, car nous croyons qu’il est vain de penser l’espace madrilène contemporain en ignorant comment Madrid est né, s’est développé, s’est transformé, s’est en partie détruit pour mieux se reconstruire, s’est embelli et parfois enlaidi, a fortifié son image ou perdu de son prestige. La réalité d’une ville, et a fortiori d’une capitale, ne saurait se réduire à un processus aléatoire de destructions – accidentelles ou volontaires – et de reconstructions, ni à l’édification jamais achevée de palais, de sièges du pouvoir, de lieux de culte, de places, d’avenues, de parcs, de quartiers d’habitation, de zones industrielles, de gares, d’aéroports, de voies d’accès et de moyens de communications. Chercher à comprendre l’évolution de l’urbanisme madrilène, c’est-à-dire comment les hommes ont conçu l’espace de la ville en fonction de l’idée qu’ils se faisaient du patrimoine et du destin de la capitale, tantôt en l’inscrivant dans la modernité, tantôt en refusant de l’y engager, c’est immerger cette approche dans le flux de l’histoire.

 

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