Article rédigée par Frédérique Doucet
Le film de Santiago Mitre, El Presidente, est une œuvre un peu étrange, qui cache plus de choses qu’elle n’en dévoile, laissant le spectateur se débattre avec les suppositions et les non-dits qui peuplent la vie et la carrière du personnage principal, Hernán Blanco, le président de l’Argentine, incarné magistralement par Ricardo Darín.
Le nom choisi par le réalisateur pour cet homme politique –Blanco– n’est d’ailleurs pas anodin. Ce dernier se présente comme un homme aspirant à ce paradoxe : être –ou passer pour– un « président normal ». Les médias parlent de lui comme d’un personnage falot, tellement blanc qu’il en est invisible. Il semble ne pas faire le poids auprès du président du Brésil, stature de colosse et voix de stentor.
Mais qui est-il vraiment, ce président d’Argentine qui va devoir négocier un difficile accord pétrolier au sommet des pays d’Amérique latine qui a lieu au Chili ? Tant sur le plan politique que personnel, la transparence n’est pas au rendez-vous. Élu d’une province éloignée de la capitale, il ne semblait pas destiné à devenir le chef d’un des plus grands états de la région. Rattrapé, avant la fameuse réunion, par des rumeurs de corruption impliquant sa famille, on entrevoit aussi une vie privée agitée et glauque. En particulier ses relations avec sa fille dont la santé mentale est, selon ce qui se murmure chez les personnes informées, fragile et sur laquelle il veut garder, à tout prix, le contrôle.
Les paysages de la Cordillère chilienne où se passe l’événement sont vertigineux. Enneigés et inaccessibles, sillonnés de routes en lacets en épingles à cheveux, ils nous étourdissent et, bien sûr, la façon de les filmer contribue à cette impression. Tout y est blanc et pourtant, opaque, cachant crevasses et dangers multiples comme le président Blanco cache, lui aussi, des secrets dont certains pourraient bien être impardonnables.
Et comme dans ces routes dangereusement sinueuses où chaque tournant masque puis révèle une partie du trajet, le film, scène après scène, nous ouvre des pistes de réflexion, qu’il semble réfuter puis reprendre plus loin, nous laissant nous débattre pour appréhender ce que sera le bout du chemin. Santiago Mitre nous dit juste ce qu’il faut pour nous intriguer. Il ne nous donne jamais de réponses. Le vertige des sommets, montagneux et politiques, comme celui du pouvoir, se mélangent pour nous donner le tournis et nous désorienter.
Mieux vaut ne pas trop se pencher au-dessus de l’abîme ni chercher à éclaircir certains mystères. Cela pourrait bien être mortel.
Ainsi va la politique, semble nous dire le cinéaste. Bien qu’il ait fait le choix de ne pas parler de faits réels, il ne paraît pourtant guère optimiste sur les fondements de toute gouvernance !
Santiago Mitre, El Presidente, film argentin sorti en salles le 03/01/2018.