Regards sur une société en mutation

Minute rédigée par Frédérique Doucet

imagesgfhfqgSara (bientôt 13 ans) et Catalina (9 ans) sont deux sœurs sans problèmes. Leurs parents sont divorcés –banal–  et Paula, leur mère, est très heureuse avec Lia, sa nouvelle compagne. Les deux fillettes apprécient beaucoup leur belle-mère. Pour elles, rien de particulier dans leur situation, tout est normal et pourtant… La mère de Paula passe son temps à dire que tout est compliqué dans cette famille ; Catalina a été punie pour s’être dessinée en compagnie de sa sœur et de ses deux mères ; un professeur prend Sara à part et lui demande si elle ne souffre pas trop de la situation anormale de sa mère ; même Pancha, la meilleure amie de l’adolescente, lui demande –ingénument ?– si elle croit que l’homosexualité est héréditaire.

       De ce fait, sous le regard des autres, ces enfants parfaitement normales, qui croyaient leur situation parfaitement normale, commencent à avoir des doutes, à se sentir mal, à perdre leur joyeux naturel pour le troquer contre un masque social plus acceptable aux yeux de tous.

Ou encore :

         indexjhghvgvMarina et Orlando s’aiment. Pour lui, Marina est la compagne qu’il lui faut. Il l’accepte telle qu’elle est, il la regarde avec les yeux du cœur. Mais Orlando va mourir subitement et ses proches ne regardent pas la jeune femme de la même façon. Ils la voient comme une sorte de monstre car, sur ses papiers, son ancien nom de Daniel n’a pas encore été changé. Pour eux, ce n’est pas une femme mais un être hybride, qui n’a pas droit de cité dans une famille respectable, qui a un rang à tenir dans la société.

          Presque coup sur coup (mars et juillet 2017), deux cinéastes chiliens se sont intéressés au poids du regard qui pèse sur certaines personnes. « Différentes », « marginales » sont les termes les plus sympathiques dont les gens, bien intentionnés, peuvent les affubler. Sous l’emprise de ce regard celles –dans les deux œuvres– qui se sentaient comme les autres, ont soudain honte de ce qu’elles sont, se pensent coupables.

         C’est le cas de Sara et Catalina dans le film Rara. Elles retrouveront une forme de normalité en allant vivre, à contrecœur, avec leur père qui, lui, est remarié avec une femme, comme il se doit. Elles sont trop jeunes pour avoir leur mot à dire et doivent se plier aux lois que leur impose la société.

         Quant à Marina, héroïne de Una mujer fantástica, elle va refuser de se plier au diktat qu’on veut lui imposer. Être Marina et non Daniel est un choix qu’elle va assumer, courageusement. Daniela Varga, l’actrice qui l’incarne, est elle-même transsexuelle, cela donne un grand poids au film.

          La réalisatrice Pepa San Martín et le réalisateur Sebastián Lelio ont le même objectif : éduquer le regard. Ils posent la question de la norme. Existe-t-elle vraiment ? Qui la dicte ? Pourquoi ? Que signifie être normal ? Sur quels critères se base-t-on pour le décréter ?

         Ces deux films sont le symptôme d’une société qui bouge. Des comportements et des situations, jusqu’alors cachés, gagnent en visibilité. Ce n’est pas facile, cela dérange l’ordre établi. Il est important que le cinéma, art populaire s’il en est, accompagne ces mutations, nous aide à soigner notre regard malade et à le panser avec de la bienveillance.

Pepa San Martín, Rara, film chilien, mars 2017 et Sebastián Lelio, Una mujer fantástica, film chilien, juillet 2017.

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