De Casablanca à la source

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Minute rédigée par Frédérique Doucet

 

Prendre une décision c’est facile, en mesurer puis en assumer les conséquences est plus ardu.

C’est la situation que va vivre Adam, le dernier des Sijilmassi. Marocain pétri de culture française, éduqué au lycée français de Casablanca, marié à une jeune femme ambitieuse, propriétaire d’un chat et ingénieur dans une entreprise qui vend du bitume dans le monde entier, il voyage beaucoup. Trop. Lors d’un de ses retours au pays, alors qu’il survole la mer d’Andaman, il a une révélation : il lui faut changer de vie, retourner aux sources, ralentir.

L’expérience de la lenteur, il la tente dès son arrivée à l’aéroport en décidant de rejoindre Casablanca à pied. Les différents autochtones qui s’arrêtent pour lui proposer de le conduire en voiture le prennent pour un fou. Personne n’a jamais eu l’idée de se rendre à pied à la capitale.

Il ne reçoit pas plus de compréhension dans son foyer. Sa femme voit d’un œil hostile sa décision de changer d’existence. Elle l’a épousé pour sa situation et envisage rapidement toutes les conséquences matérielles qui en découleraient.

Adam s’obstine cependant et démissionne de son travail pour aller se ressourcer dans son village natal, celui où son grand-père et son père ont vécu, n’ayant jamais dépassé la vitesse d’un cheval au galop. Il s’y rend à pied. Sa femme l’a quitté, emportant le chat, pour retourner vivre chez sa mère.

Adam va désormais résider dans l’antique maison de famille. Pour retrouver ses sources, il décide de renier sa culture française – en particulier Voltaire – et de lire les grands classiques de la philosophie arabe de la grande époque andalouse. Il y découvre des trésors de pensée qui n’ont rien à envier aux plus doctes européens.

Mais sa présence dans le riad intrigue. Lui, qui était venu en quête de tranquillité, se voit déranger par toutes sortes d’intrus. La police en premier lieu (être venu à pied semble constituer un crime en soi), puis un homme qui prend possession du puits de la maison et établit un étrange commerce d’eau, censée être miraculeuse grâce à la baraka des Sijilmassi, et enfin son cousin, qui tente de le convertir à un islam plus pur, plus strict, plus conforme à ce que doit être la religion d’un marocain digne de ce nom. Adam, cultivé, lui oppose des arguments imparables, logiques et étayés. Loin de le prémunir contre le fanatisme ambiant, ces discussions vont, bien contre sa volonté, le transformer en chef d’une nouvelle secte. La police s’en mêle de nouveau et veut l’instrumentaliser pour faire barrage au cheikh Bassine lors des élections.

Adam refuse de se laisser récupérer. Au moment de la manifestation qui voit les deux camps occuper chacun un trottoir, Adam choisit de marcher au milieu de la route pour bien marquer sa désapprobation. Il ne peut se décider entre ses deux cultures et opte pour le juste milieu. Quand les factions s’affrontent, la dernière chose qu’il voit avant de sombrer dans l’inconscience, c’est la matraque sur le point de s’abattre sur sa tempe.

Après toutes ses tribulations, Adam, qui désormais ne parle plus, vit en ermite sur la plage, à quelques encablures de son village natal. D’aucuns diraient que l’État l’a vaincu : « soit il te récupère, soit il te met hors-jeu ». Fouad Laroui, plus optimiste, considère que son protagoniste, au contraire, a gagné : « le retrait, voilà la vraie victoire ».

Le dernier des Sijilmassi a, enfin, trouvé le calme et la sérénité.

Fouad Laroui, Les tribulations du dernier Sijilmassi, Paris, éditions Pocket, 2016.

 

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