Tapis dans l’ombre

Minute rédigée par Frédérique Doucet

Dans un coin perdu de la France profonde, un hameau : trois maisons. Dans la première, un couple et sa petite fille. Lui est agriculteur, elle, Marion, travaille dans une imprimerie et la petite va à l’école en prenant le car comme tous les enfants de la campagne. Dans la deuxième, Christine, une Parisienne exilée avec son chien. Elle est âgée, peintre, un peu hors norme tant dans son art que dans sa façon de vivre. La troisième maison est à vendre.

Pour ces quatre habitants, c’est une vie routinière perturbée par des lettres anonymes que reçoit Christine, avec des menaces de plus en plus claires.

Malgré cette ombre au tableau dans le hameau, on prépare un grand événement : l’anniversaire de Marion. Elle va fêter ses 40 ans. La fébrilité s’empare de tous pour réussir la fête quand tout bascule. Trois individus arrivent brusquement et prennent tout le monde en otage. Y a-t-il un rapport avec les lettres anonymes adressées à Christine ?

Peu à peu on va découvrir que c’est en réalité le passé de Marion et ses secrets qui sont la cause du drame.

C’est une histoire comme on en rencontre dans de nombreux livres, banale. Ce qui en fait l’originalité, c’est son écriture à trois niveaux qui lui donne aussi son ampleur. Tout d’abord, le narrateur omniscient décrit les personnages, pose le décor, montre ce qui se passe (les lieux, les réactions, les mouvements) un peu comme dans un film où la caméra éloignée permet de donner une idée générale. Au sein de ce récit sont insérés des mots, des dialogues sans ponctuation particulière pour les signaler et qui fonctionnent comme des zooms. À ces deux éléments que le lecteur appréhende en même temps et distingue, s’ajoute la troisième strate de l’écriture de Laurent Mauvignier. Chaque parole, chaque mouvement, chaque réaction et chaque sentiment de chacun des protagonistes, otages comme preneurs d’otages, sont expliqués. Tout est passé à la loupe, le moindre détail est décrit, analysé et peu à peu les pièces du puzzle prennent forme sous la plume de l’écrivain puis s’emboîtent, révélant les lourds secrets enfouis au plus profond du passé de Marion et de ses agresseurs ainsi que les enjeux à l’œuvre dans cette terrible soirée d’anniversaire.

Tout est orchestré magistralement par le romancier qui mène son lecteur où il veut. Laurent Mauvignier est un peu comme le preneur d’otages : il tient son lecteur captif, ne lui laissant aucune initiative, devant recevoir ce qu’on lui donne et s’en tenir là, sans avoir à réfléchir ni à analyser par lui-même ce qui se passe.

C’est une expérience particulière, parfois un peu longue et frustrante mais, finalement, enrichissante.

Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit, Paris, éditions de Minuit, 2020.

 

 

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