L’homme ne naît pas loup… il le devient

Minute rédigée par Frédérique Doucet

Jornaleros_españolesC’est ce que tendrait à montrer le livre de Julio Llamazares, Luna de lobos.

Rares sont les livres courts si aboutis. Celui-ci est une perle ou un diamant littéraire ciselé par une langue d’une fulgurance exceptionnelle.

L’histoire se déroule pendant et après la guerre civile ou quatre hommes, sympathisants de la République, sont contraints à la clandestinité. Trouvant refuge dans des cabanes de bergers abandonnées, dans les forêts ou les grottes de cette zone montagneuse de l’Espagne, ils vont tenter de survivre.

Au début, ils sortent encore de leur cachette pour entrer en contact avec la famille ou les camarades qui leur sont restés fidèles. Mais plus le temps passe et plus c’est risqué. Isolé et parfois désespéré, Ángel, le protagoniste principal, instituteur avant que n’éclate le conflit fratricide, se répète la phrase de son père : « Mira, hijo, mira la luna: es el sol de los muertos ».

Cette phrase éclaire le titre du roman. Ces hommes retranchés sont comme des morts vivants. Ils sont morts aux yeux de la société. Pourchassés par la garde civile, ils craignent pour leur vie et celle de leurs proches qui subissent des représailles à cause d’eux. Ils doivent donc renoncer à les voir. Le seul astre qui éclaire encore leurs pas est la lune, se montrer à la lumière du soleil leur est désormais interdit.

Avec le temps, l’usure de l’isolement, la faim, le froid, ils perdent peu à peu leur humanité. Aux grands idéaux d’avant la guerre se substitue l’instinct de survie qui peut les conduire à la violence, à tuer si c’est nécessaire. C’est ainsi que l’homme, dans la nuit de sa solitude, devient un loup. Malgré ses efforts pour résister, les circonstances l’acculent et font sortir l’animal tapi au fond de l’être humain.

Ángel, c’est l’ange déchu qui devient bête, lui qui rêvait d’une humanité meilleure.

Julio Llamazares, Luna de Lobos, Barcelona, Seix Barral, 1994.

 

Vous aimerez aussi...