Rencontre avec Lídia Jorge le lundi 18 mars 2013

« Les femmes et l’écriture de la violence. Rencontre avec Lídia Jorge »
Lundi 18 mars de 18h à 20h
Fondation Calouste Gulbenkian
39, boulevard de la Tour Maubourg
75007 Paris

Avec le concours de Madame le Professeur Maria Graciete Besse (Université de Paris Sorbonne) la Société des Langues Néo-Latines propose une rencontre avec Lídia Jorge.

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L’œuvre de Lidia Jorge, placée sous le signe de la mémoire, de la quête identitaire et  du témoignage, se caractérise par une extrême cohérence à forte dimension éthique, avec des personnages forts que le lecteur a du mal à oublier. Depuis La Journée des Prodiges (1980), jusqu’à La Nuit des Femmes qui Chantent (2011), la romancière interroge sans cesse les relations de pouvoir et les conflits intimes, en même temps qu’elle illustre les mutations en cours dans la société portugaise,  nous donnant à lire  la face visible du monde contemporain.

Maria Graciete Besse

 

Os dois lados do mundo

    A Escola da Cabeça d’Águia era uma casa com uma porta, duas janelas e mais nada. No primeiro dia em que me levaram até lá, fiquei feliz porque ia encontrar crianças da minha idade. Elas lá estavam, divertidas, barulhentas, grandes olhos, faces magras. Também era a primeira vez que me colocavam na mão uma caneta de tinta de molhar e ela escorregou-me da mão, borrou a folha, e rebolou pelo chão. Tive de gatinhar debaixo das carteiras para a encontrar. Foi então que eu reparei que a maior parte dos pés dos meus colegas estavam descalços. Vi os seus pés pousados no chão e percebi que a turma se dividia em duas metades – os que tinham e os que não tinham sapatos. Nessa noite, procurei sapatos em casa que servissem aos meus colegas, e havia várias caixas, mas de criança encontrei um par, e eu queria encontrar botas, sapatos vários. A minha mãe descobriu o que eu andava a fazer e disse-me – “Para quê tudo isso? Desengana-te, por mais que faças, nunca vais calçar toda a gente”. E assim foi. Passei muitos anos sem contar este episódio, até que desisti desse silêncio. Passado todo este tempo, a Humanidade continua a dividir-se, exatamente, nesses mesmos dois grupos – Os que andam e os que não andam descalços. Só na Literatura conseguimos encontrar sapatos para todos. Talvez essa seja uma das razões por que escrevo. Talvez escreva desde aquele dia em que a caneta escorregou pelo tampo espalhando tinta no papel e conduzindo-me ao chão do mundo.

Lídia Jorge

Les deux côtés du monde

 

L’Ecole de Cabeça d’Água c’était une maison avec une porte, deux fenêtres et rien d’autre. Le premier jour où l’on m’y a emmenée, j’étais heureuse d’y rencontrer des enfants de mon âge. Ils étaient là, drôles, bruyants, de grands yeux, des visages maigres. C’était aussi la première fois qu’on me mettait dans les mains une plume avec de l’encre à tremper et elle m’est tombée des mains, a taché la feuille et a roulé par terre. J’ai du la chercher à quatre pattes sous les pupitres par la retrouver. C’est alors que j’ai remarqué que la plupart des pieds de mes   camarades de classe étaient nus. J’ai vu ces pieds posés par terre et j’ai compris que la classe se divisait en deux parties – ceux qui avaient et ceux qui n’avaient pas de chaussures. Cette nuit-là, j’ai cherché chez moi des chaussures qui pourraient servir à mes camarades, et il y en avait plusieurs boites, mais pour enfants je n’en ai trouvé qu’une paire, alors que moi, je voulais trouver des bottes, toutes sortes de chaussures. Ma mère a découvert ce que j’étais en train de faire et m’a dit – « Pourquoi fais-tu tout ça ? Détrompe-toi, tu auras beau faire, tu n’arriveras jamais à chausser tout le monde ». Et ce fut ainsi. Pendant des années je n’ai pas raconté cet épisode, jusqu’à ce que je renonce à mon silence. Après tout ce temps, l’humanité continue à être divisée exactement en ces deux mêmes groupes – ceux qui sont et ceux qui ne sont pas chaussés. Il n’y a qu’en littérature qu’on arrive à trouver chaussure à tous. Peut-être est-ce là une des raisons pour lesquelles j’écris. Peut-être bien que j’écris depuis ce jour où ma plume a glissé le long de ma table déversant de l’encre sur le papier et me conduisant au sol du monde.

Traduction de Pierre Léglise-Costa

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