« Le sentiment d’attente ne s’ajuste qu’au seul printemps »*

Minute rédigée par Frédérique Doucet 

benedettiIl arrive que certains titres soient énigmatiques et ne s’éclairent qu’après coup. C’est le cas du livre de Mario Benedetti : Primavera con una esquina rota.

Dans ce roman choral, chacun des protagonistes vit l’expérience d’un printemps frustré.

En Uruguay, pendant les années de dictature, Santiago, prisonnier politique, croupit depuis plus de quatre ans dans la prison Libertad dont le nom sonne comme un sarcasme.

Après ces années de souffrances physiques et morales, le printemps pointe à sa fenêtre. Sa libération est proche. L’espoir de retrouver sa famille se concrétise. Cependant, ce n’est pas sans appréhension qu’il y pense. Le ton de certaines des lettres qu’il a reçues, l’absence de certaines autres ont un relent de mauvais présage.

Dans le grand pays, où sa famille a dû s’exiler afin d’éviter des représailles, le printemps n’est pas non plus tout en fleur.

Graciela, la femme de Santiago, après l’avoir attendu sans faillir, s’aperçoit qu’elle est désormais amoureuse de Rolando, un ami militant comme eux autrefois. Sur le conseil de son beau-père Rafael, elle ne l’a pas écrit à son mari pour ne pas ajouter à ses angoisses. L’idée de l’aveu qu’elle aura à lui faire à l’aéroport la hante. Il tourmente aussi le père de Santiago. A-t-il bien fait de recommander le silence à sa bru ? Comment va réagir son fils, lui qui ne vit que par ces retrouvailles ?

Rolando n’est pas tranquille non plus. Son idylle avec Graciela n’est soudain plus aussi colorée. Lui conservera-t-elle son amour après avoir revu Santiago ? Beatriz, si heureuse de revoir un père qu’elle connaît si peu, ne fera-t-elle pas pencher la balance dans le sens de celui-ci ? Car cette fillette, à la fois naïve et délurée, comprend bien ce qui se trame entre sa mère et celui qu’elle appelle « tío Rolando ». Elle ne veut pas que son printemps soit terni par cette aventure.

Le bonheur est à portée de main, mais il est teinté d’amertume. Il est là, mais il a un coin brisé.

 

Mario Benedetti, Primavera con una esquina rota, Buenos Aires, editorial Sudamericana, 2001.

Mario Benedetti, Printemps dans un miroir brisé, Paris, Belfond, 1998.

 

*Colette, L’Étoile Vesper, Paris, Fayard, 1986.

 

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